Un corps à soi de Camille Froidevaux-Metterie

C. Froidevaux-Metterie, Un corps à soi

Voilà un livre déplorable, mais qui explicite le projet à venir dans les sphères bourgeoises. Un féminisme postphénoménologique. Dans cet essai de plus de 300 pages, Camille Froidevaux-Mettrie utilise les mots patriarcal et patriarcale 119 fois, patriarcaux 17 fois, oppression 48 fois, aliénation 64 fois et domination 72 fois. C’est utile d’avoir un poussiéreux ennemi désigné qui se laisse frapper sans réagir. Se référant à De Beauvoir sans rappeler qu’elle ponctionnait des élèves comme amantes, collabora avec les nazis et à la Radio de Vichy, et s’en prit aux lesbiennes dans Le Deuxième sexe, Camille Froidevaux-Mettrie ne fait référence qu’à des femmes et à de rares hommes qui vont dans son sens.

Réécrivant l’histoire, les femmes auraient été selon elle sans cesse brimées, exploitées, assignées à la cuisine sans se poser la question de la répartition des tâches dans un monde hostile. Elle n’hésite pas à généraliser (sans doute a-t-elle fait un sondage mondial) pour dire : « Toutes les femmes, j’y insiste, toutes les femmes, ont été ou seront au moins une fois dans leur vie blessées dans leur dignité et leur intégrité corporelles, que ce soit verbalement ou physiquement. » (p. 24) Pure propagande déclarative. Je propose de l’envoyer en Ukraine, là où des hommes se battent et meurent par milliers. La condition féminine est vraiment terrible ou est-ce un paravent doloriste pour nous emmener sur un terrain qui lui évitera de poser des questions plus concrètes ?

Il est pratique de ne pas faire référence aux classes sociales quand on est bourgeoise. Camille Froidevaux-Mettrie adopte toutes les dérégulations libérales proposées par le marché, des queers et intersectionnelles jusqu’aux femmes trans, celles qui se croient femmes par ressenti en se mettant comme au théâtre une perruque mauve ou verte sur la tête avec quelques traits de maquillage pour faire genre. Il y a même une négation de la féminité pour écrire : « Pour être féminin, un corps n’a pas besoin de seins ni de règles, il n’a qu’à éprouver ce rapport si singulier au réel et à l’imaginaire qui passe nécessairement par le corps. » (p.22) Outre que cela ne veut rien dire (qui peut traduire en français la nébuleuse phrase finale ?), quel corps alors ? Elle aurait pu ajouter sans vagin.

Cependant, il y a là un double paradoxe, par le fait de revendiquer un corps féminin comme base physique authentique (quitte à lui retirer tous ses attributs) et d’en faire ce qu’on veut. Car « dans tous les cas, il s’agit d’exercer la liberté qui est la nôtre de faire de nos corps ce que nous voulons. » On se demande ce qu’une femme pourrait ne pas être. Ce qui implique qu’une femme peut devenir un homme et même un macho si elle le veut. La négation de la femme par elle-même.

Tout du long de son chapelet, ce qui est visé en général, c’est le fondement de l’anthropologie humaine et notamment l’hétérosexualité. Comme on sait, l’hétérosexualité est patriarcale et une construction culturelle, une vérité absolue devant le rouleau compresseur idéologique. Bien sûr, il y avait peu de personnes qui remettaient en cause l’hétérosexualité comme une construction sociale il y a peu d’où le terme récemment sorti du cirque Bouglione universitaire d’hétérosexualité obligatoire. Qu’est-ce qui serait obligatoire dans un monde à deux sexes fait pour reproduire l’espèce ? Voyez, il y a un vagin et un phallus qui s’emboîtent harmonieusement sans souci. Sans doute un complot. Dès qu’il y a une chose néfaste en provenance des femmes (rivalités entre elles), c’est encore dû au patriarcat.

Au fond, l’entreprise néoféministe avec le chapeau phénoménologique pour être pris au sérieux est de ruiner l’hétérosexualité en citant une tête chercheuse fort bien connue en France, une certaine Firestone (la « barbarie de la grossesse » !), ce qui n’a pas empêché Camille Froidevaux-Mettrie d’avoir eu deux mouflets sans doute par télépathie. Ce n’est pas tant qu’elle mette en avant le lesbianisme (qui a toujours existé) que le projet de vampiriser l’homme et l’hétérosexualité et de remplacer le tout par une version féminisée, sororale, homosexuelle et j’en passe, autrement dit par toutes les métamorphoses récupérables par le marché libéral. Donc le transhumanisme au final. Comme par hasard.  Le mot n’est pas dit, mais à quoi rime cette déconstructionnite ?

Tout y passe et il serait fort long de résumer un tel ouvrage dans le détail, mais les points clefs sont signifiants. Par exemple, prenant appui sur Anne Koedt, autre tête chercheuse fort connue en France, elle démonte le mythe de l’orgasme vaginal. Encore une construction culturelle pour sûr. « Si le clitoris détrône le vagin, écrit Koedt, les hommes peuvent craindre de cesser d’être sexuellement indispensables. » On voit nettement où elle veut en venir. Ajoutant : « Le mythe de l’orgasme vaginal a donc été un outil particulièrement efficace de la domination masculine, empêchant de concevoir une vie sexuelle épanouissante hors du cadre hétéronormé de la pénétration. » (p. 239) Outre que ce cadre hétéronormé est naturel et a permis à l’espèce humaine de croître et de se développer (ce que deux lesbiennes en accomplissant la paire de ciseaux ne peuvent réaliser), il y aurait une insatisfaction sexuelle dans la conjugalité phallocentrée (j’ai oublié phallocentré) pour trouver la « voie d’une hétérosexualité qui intègre la pluralité des pratiques en s’extirpant du carcan de la pénétration. » (p. 250) Elle semble ne pas connaître au passage les préliminaires et ne parle pas de la sodomie, sans doute parce que c’est encore une pénétration.. Mais on a compris que le « carcan de la pénétration » (qui permet sans doute à l’homme de répandre son sperme dans le vagin) n’est pas la voie à suivre. Elle est sans issue en plus d’être un horrible carcan. On remarque le fil conducteur tissé depuis le début : les femmes (toutes) ont été exploitées et brimées par le patriarcat. L’hétérosexualité est patriarcale (et très peu pour reproduire l’espèce) et comme l’hétérosexualité en passe par la pénétration, exit la pénétration. Tout est donc carcan.

D’où l’éloge du clitoris pour échapper à la pénétration comme si les femmes et les hommes l’avaient ignoré depuis des siècles : « Cela passe par cette révolution clitoridienne qui brandit l’orgasme féminin du bout de nos doigts. Jouir enfin sans entraves, c’est sans doute accepter de jouir d’abord sans les hommes. » (p. 260) D’abord… On y vient. Jouir sans les hommes en oubliant que l’on peut faire les deux, pénétrer et chatouiller le clitoris. Mais l’expression révolution clitoridienne est un sommet pour nier le vagin, car il est pénétrable. On se demande alors pourquoi, au passage, le marché des sexs-toys (des jouets dans ce parc à enfants généralisé) est si florissant, notamment par des ustensiles phalliques se dispensant de la présence masculine.

La perle des perles au passage est quand elle prétend connaître la jouissance masculine, car un homme peut éjaculer sans jouir (si si !), forcément ignoré : « Ainsi que l’exprime l’un des répondants à l’enquête scandinave de 2008 : « Une éjaculation peut être aussi plaisante que de se moucher le nez, ou comparable à la contemplation du cosmos, avec toutes les gradations qui existent entre ces deux extrêmes. » Le script sexuel dominant qui associe l’orgasme à un rapport pénétrant impose à la femme comme à l’homme de se projeter dans le plaisir sous l’angle exclusif de ce rapport phallocentré. » (p. 251) Voilà sans doute un commentaire qui vaut force de loi. Une bonne grippe pour jouir et avoir un orgasme !

Étant donné qu’on ne peut éliminer physiquement les hommes (ce serait trop énorme) et donc ne pas pouvoir éliminer l’hétérosexualité, il s’agit de trouver des hommes qui épousent l’idéologie féministe : « On peut surtout ne pas souhaiter en sortir et chercher plutôt à rencontrer des hommes qui acceptent, voire qui partagent, nos convictions féministes. » (p. 252) Étant donné qu’on ne peut pas encore choisir le sexe de son enfant, il faut lui seriner d’emblée : « Mon fils, tu seras une femme ! » Il y a donc pire que le patriarcat, c’est le néoféminisme qui peut effacer l’autre sexe pour épouser sa libido.

Étant donné qu’on ne peut éliminer physiquement les hommes (ce serait trop énorme) et donc ne pas pouvoir effacer de l’hétérosexualité, il s’agit de trouver des hommes qui épousent l’idéologie féministe : « On peut surtout ne pas souhaiter en sortir et chercher plutôt à rencontrer des hommes qui acceptent, voire qui partagent, nos convictions féministes. » (p. 252) Étant donné qu’on ne peut pas encore choisir le sexe de son enfant, il faut lui seriner d’emblée : « Mon fils, tu seras une femme ! » Il y a donc pire que le patriarcat, c’est le néoféminisme qui peut effacer l’autre sexe pour épouser sa libido.

Au final, Camille Froidevaux-Mettrie parvient même à légitimer la misandrie, sans se rendre compte des implications que cela peut donner par contre réaction : « Que cela ait pu prendre la forme du rejet, voire de la misandrie, il n’y a pas franchement de quoi s’étonner, et encore moins de s’indigner. (…) Elle disait l’inacceptable de l’appropriation des femmes, la volonté de détruire le système de production et de reproduction patriarcal, la joie d’échapper à la prise masculine par le choix du lesbianisme. » (P. 373). Tout ce que la Nature a établi pour que l’espèce se reproduise et on se demande comment vont naître les enfants sans que l’homme prenne une femme ? Par GPA ? PMA ? On n’ose y songer. On retrouve le harcèlement actuel propagé par les médias d’État ou d’ailleurs et les offensives que l’on entend dans le cinéma depuis des années.

Bref, en lisant un tel livre édité par le Seuil (non dans une maison d’édition obscure) il me semble qu’il y a une espèce d’aberration à nous faire croire que l’histoire du féminin ou à donner une image du féminin toujours souffrante, toujours subalterne, sorte de troupeau de brebis mené à l’abattoir, toujours et tout le temps. Il y a une vision condescendante, méprisante, raciste, sexiste véritablement que de les enfermer dans une telle histoire. Derrière ce discours doloriste, on réalise que ce n’est pas le délire d’une chercheuse isolée. Non, il faut épouser toutes les métastases du genre qui, au final, feront que les femmes seront proprement rayées de la carte par le marché des prothèses et de la technique.

Jan Leloup

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